mardi 31 juillet 2012

As-tu bien compris la terre et les hommes pour vouloir comprendre le Ciel ?


Dans sa préface à sa nouvelle édition des Analectes de Confucius, Lin Yutang, un prestigieux écrivain  Chinois,  écrit en 1938 : « le corps de la pensée confucéenne est celle qui ressemble le plus  aux Lois de Moïse et il est plus aisé de comparer l’enseignement de Confucius à celui de Moïse qu’à tout autre penseur ou philosophe. Le Li de Confucius, comme la Loi de Moïse couvre aussi bien des lois religieuses que des lois de la vie civile. La religion du Li, comme le Judaïsme, traite  aussi bien du culte que la vie quotidienne  jusqu’à descendre dans les détails dans  ce qu’il convient de boire et de manger ». (China and the Jewish People: Old Civilizations in a New Era : Strategy Paper . Par Salomon Wald)
Dans la Chine tourmentée d’avant la deuxième guerre mondiale, le standard culturel était devenu le standard occidental. Lin Yutang qui ambitionnait de valoriser la culture millénaire chinoise auprès des occidentaux se réfère à ce qu’il considère être le modèle le plus élevé de la civilisation occidentale ; à savoir le Judaïsme. C’est en effet ce qui lui a été enseigné dans les écoles catholiques où il a étudié. On aurait  pu imaginer qu’un érudit  Chinois de confession chrétienne comme Lin Yutang compare le confucianisme à un modèle syncrétique judéo-chrétien. Il n’en est rien, pour lui comme d’autres érudits chinois, comme Liu Changxing (1876) qui traita des affinités entre les  10 Commandements et l’éthique confucéenne, c’est bien le Judaïsme qui est le socle du modèle occidental.
Lin Yutang, né dans la ville de Banzi dans la province du Fujin, part compléter ses études à  Leipzig, puis enseigne à Harvard ; il est un des rares érudits chinois de son époque qui vit et enseigne entre l’Occident et la Chine et connait parfaitement l’Europe, Les Etats-Unis et la Chine. Il ne se contente pas de souligner les ressemblances entre le Confucianisme et la loi de Moïse mais va au-delà de la perception généralement admise, réduisant le Confucianisme à un système éthique, en le qualifiant de religion. Or, pour un observateur moins averti que Lin Yutang, le Confucianisme n’a rien d’une religion, car, selon les standards occidentaux, il y manque un personnage central et nécessaire, qui n’est autre que dieu.
Le Li, souvent traduit par bienséance, respect, courtoisie, rituel ou norme idéale de conduite, n’a à priori  rien de religieux. Pour un esprit occidental, c’est un mode de comportement souhaitable afin que les individus puissent se supporter les uns les autres. De quelle religion s’agirait-il alors, quel rôle occuperait Confucius dans la chaine  de transmission et pourquoi comparer l’enseignement de Confucius à celui de Moïse ?
A cela Maitre Kong répond : « je transmets et n’innove pas » et « le Ciel se sert de votre Maître comme d’une cloche à battant de bois pour avertir le peuple » et « Après que le roi Wen eut disparu, sa doctrine ne m’a t-elle pas été confiée. Le Ciel ne m’en aurait-il pas fait l’héritier » (III.23).
A ce stade on aimerait en savoir d’avantage : quand, comment et pourquoi le Ciel aurait choisi précisément Confucius et pas un autre lettré chinois pour avertir le peuple ? Nous savons tout ou presque des relations complexes qu’entretint  dieu avec Abraham et ses descendants, nous connaissons l’épisode du don de la Loi à Moïse sur le mont Sinaï ; il nous faut des faits, des dates, un modus operandi, pour attribuer à Confucius l’attribut de Prophète ou de Passeur qu’il réclame. Et qu’obtenons-nous ? Une affirmation lapidaire : « … à 40 ans, je n'avais plus de doutes; à 50 ans, je comprenais les dispositions du Ciel; à 60 ans, je pénétrais le sens profond de ce que j'entendais; à 70 ans, je suivais ce que mon cœur désirait sans excéder la juste mesure».  A prendre ou à laisser ! Si vous me croyez, suivez moi et exécutez au mieux ce que je vais vous expliquer, et sinon, tant pis pour vous, allez dorloter et adorer vos idoles.
Quant aux audacieux qui aimeraient en savoir d’avantage sur les voies du Ciel, le Maître répond sèchement  par une question, digne d’un Rabbi hassidique : « As-tu bien compris la terre et les hommes pour vouloir comprendre le Ciel ?». Cela signifie, il me semble, qu’il y a bien quelque chose à comprendre mais que ces choses n’ont été révélées  qu’à un seul homme, instrument du Ciel, qui s’en sert comme une cloche à battant de bois, pour avertir et éduquer le peuple. Maitre Kong filtre, tamise le Ciel, pour ne laisser passer que le stricte nécessaire, qui pourra être compris par les hommes : les règles du vivre-ensemble.
C’est un peu comme si Moïse avait assisté seul au don de la Loi au Mont Sinaï, avait fait un tri parmi les Commandements et livré ce qu’il estimait utilisable et nécessaire pour son peuple ; gardant par devers lui les mystères d’En-Haut.  Maître Kong « refusait de parler des esprits ou de la mort »; preuve s’il en est qu’il était bien informé.
Des similitudes on ne peu plus troublantes sur  le récit de la Genèse existent entre les Anciens Chinois et la Torah, que l’arbre sephirotique de la cabbale juive trouve son pendant dans la cosmogonie chinoise, le Yin et le Yang,  que, dans les temps anciens les Empereurs se considéraient comme les seuls médiateurs entre le Ciel et le peuple.  Si quelqu’un en devait connaitre un rayon sur ces choses d’En-Haut, c’était bien Confucius. De là à les enseigner à ses contemporains il y avait un grand pas, que le Maître n’était pas prêt à franchir.  Elles étaient, selon le mot anglais, irrelevant, pour le commun des mortels.
Aussi se contenta t-il d’enseigner les règles de vie,  ou la voie de la terre, que l’on nomme en hébreu derekh ahayim ou haaretz. Les Rabbins nous enseignent que ces voies de la terre ont précédé la Torah, elles constitueraient donc un socle universel de la vie en société.
Selon Confucius et les cabalistes juifs (et tout particulièrement le Ari et ses disciples de Safed) le Tsimtsum, soit une forme de contraction ou de dissimulation de la Lumière  divine permet  à la Création de prendre place, et aux hommes de se produire sur la scène de l’histoire, bénéficiant, ou subissant l’absence de dieu. La tache de l’homme juif consiste à récupérer les étincelles de là où elles se trouvent ; celle du Chinois de marcher dans la voie tracée par Confucius, sans se poser des questions auxquelles il n’a pas le moyen de répondre.
La grande différence entre le Judaïsme et le Confucianisme, mais aussi avec le Catholicisme et l’Islam est que le dieu d’Israël a conclu son alliance et transmis son enseignement non pas à un homme mais à un peuple. Le dieu des Juifs est acteur dans l’histoire humaine et le peuple juif est le seul parmi les peuples qui ne s’est pas constitué sur sa terre mais dans l’esclavage d’Egypte : il n’est vraiment pas possible d’en faire l’impasse. Mahomet, Jésus et n’en déplaise aussi, Confucius, tamisent et transmettent le divin et Ses exigences ; avec insistance pour les deux premiers, dans la plus grande discrétion pour Maître Kong.
Mais lorsqu’il s’agit de reprendre ce qu’en hébreu on appelle mitsvot ben Adam léhavéro ; soit le comportement souhaitable entre l’homme et son prochain, Confucius reprend, quelquefois à l’identique, l’enseignement des rabbins à travers les âges.

Une religion sans dieu serait-elle possible ; le Confucianisme semble le confirmer !

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