J’ai été passablement occupé cet été, aussi j’ai zappé un évènement en soi dérisoire mais d’une haute portée symbolique :Publicis,
troisième groupe mondial de communication de la planète terre, a débarqué en
Palestine. Maurice Levy et Jean-Yves
Naouri, les deux principaux dirigeants de Publicis se sont rendus à Ramallah
pour concrétiser une première prise de participation de 20 % dans l’Agence Zoom
dirigée par Monsieur Bashar Masri
(entrepreneur Américano-palestinien qui a fait sa fortune essentiellement dans
l’immobilier et accessoirement dans la presse et la publicité). L’Agence
palestinienne compte comme clients : la Banque de Palestine, le groupe
Paltel, la Bourse de Palestine, Coca-Cola, l’Union Européenne, l’UNICEF, UNRWA,
Peugeot, Cairo-Amman Bank et la nouvelle ville la nouvelle ville palestinienne
planifiée de Rawabi.
Maurice Lévy, Président du Directoire de Publicis Groupe, a déclaré ce jour là : « La transaction
d’aujourd’hui est importante sous plusieurs angles. Bien entendu, il s’agit de
développer la présence de Publicis pour servir nos clients partout où ils sont
présents. Mais intervenant immédiatement après l’acquisition de BBR en Israël,
la portée de cette opération va bien plus loin, tant sur le plan symbolique que
dans la poursuite du rêve de tout homme, de voir la paix s’établir dans cette
région, entre les peuples israéliens et palestiniens … » .
Bien entendu, cette déclaration n’engage que son auteur, et
on pourrait disserter à l’infini sur la légitimité de la Palestine, la
signification même de ce vocable et l’existence ou l’inexistence d’un peuple
que Maurice Levy qualifie de « palestinien » ; d’autres comme
Shlomo Sand se demandent bien si le peuple juif existe ! Mais en
définitive là n’est pas la question.
Ce qui m’interpelle dans cette initiative c’est que ce soient
précisément Levy et Naouri, dirigeants de l’Agence de publicité la plus feuj
qui soit, même si sa taille, désormais internationale, a quelque peu gommé cette
caractéristique, ainsi que les origines de son fondateur Marcel Bleunstein
Blanchet. Il existe de par le monde bien
d’autres agences de Publicité, qui auraient pu s’intéresser au marché
publicitaire palestinien, et racheter ou prendre une participation, supérieure
même à 20 %, dans la première Agence publicitaire de Ramallah. Non, il faut que
ce soit Maurice Levy qui prenne tout le monde de vitesse.
Ne vous y trompez pas, j’ai un grand respect pour Maurice
Levy qui est certainement parmi les plus grands entrepreneurs français de ces
40 dernières années ; d’autant plus qu’il n’est pas né avec une cuillère
d’argent dans la bouche, comme d’autres. Marcel B.B a vite pressenti que
Maurice avait de l’envergure, et il lui a passé les rênes de son Agence. Ni Marcel, ni ses descendants (famille
Badinter) n’ont eu à s’en plaindre, bien au contraire; en quelques années Maurice a
multiplié par 10 le nombre de salariés du Groupe.
Maurice a (presque) toujours eu du nez dans les affaires et
un sens aigu du relationnel utile. Il possède à ce que l’on dit le carnet
d’adresses le plus fourni de France et de Navarre et, à mon avis, personne, de
quelque bord que ce soit, n’a jamais refusé de répondre à son appel
téléphonique. Ainsi, s’il a jugé bon d’associer le nom de Publicis à celui de
Zoom Ramallah, c’est qu’il a des raisons pour cela.
Essayons de voir lesquelles.
D’abord un souci d’équilibre. Plus de quatre cent personnes
en Israël travaillent dans des agences de publicité, détenues en totalité ou en
partie par Publicis ; il était donc souhaitable, pour ne pas indisposer
les pays arabes où Publicis est
solidement implanté (Emirats Arabes Unis, Egypte, Jordanie, Koweït, Arabie
Saoudite et Qatar) de s’intéresser à la seule Agence de Publicité cisjordanienne,
qui puisse corresponde aux normes d’exigence de Publicis.
Maurice Levy doit savoir, comme votre serviteur, dont le
patronyme est également « Levy »,
que ce qui importe le plus aux Arabes de Cisjordanie (Maurice dit :
« de Palestine ») est d’être reconnus par les grandes instances internationales
(en hébreu cela s’appelle donner du Kavod).
La meilleure preuve est l’acharnement d’Ahmoud Abbas, de voir décerner par
l’ONU à la Palestine un statut officiel, même bancal. Qu’une agence de
Publicité de Ramallah qui emploie 23 personnes soit intégrée au réseau mondial
de Publicis Worldwide est une marque de considération presqu’aussi grande que de devenir un État non membre observateur
à l’ONU. Qui plus est, Levy et Naouri ont fait le déplacement à Ramallah - soit
au milieu de nulle part - pour parapher
cette prise de participation symbolique qui a dû couter à Publicis moins cher
que le voyage de ses dirigeants en Cisjordanie. A la place de Zoom, j’aurais
même payé Publicis pour pouvoir rejoindre son réseau et porter sa bannière.
Messieurs Levy et Naouri souhaitent offrir à leurs clients
internationaux la plus large toile d’araignée publicitaire mondiale ;
comment est-ce possible dans ce cas de ne pas avoir une Agence à Ramallah, là où
tout se passe n’est-ce pas ? A mon avis cette implantation saugrenue risque de leur faire perdre plus de clients que d'en gagner.
Pour ce qui est de la paix, que tout homme raisonnable doit
appeler de ses vœux, il est difficile de ne pas être d’accord avec Levy. Le
problème est bien sûr de savoir de quelle paix on parle, quelles sont les conditions
pour y parvenir et avec quel partenaire/ennemi on peut envisager la paix ?
S’il ne s’agit de la paix nécessaire à la bonne marche des affaires, et la
publicité n’est jamais qu’un des volants du business, alors Publicis a eu
raison de prendre une participation dans Zoom
Ramallah. Ce qui me pose véritablement problème, c’est que ce soit précisément
Publicis et non un autre groupe publicitaire qui se soit investi et ait investi
en Palestine.
Jean-Yves Naouri nous fournit une clé de compréhension:
«… Le monde arabe adopte la technologie
numérique à une vitesse sans précédent comme l’ont montré les événements du
printemps arabe et la Palestine ne fait pas exception. Nous avons eu la chance
de trouver un partenaire aussi très prometteur en Palestine et cette
transaction souligne notre volonté de nous renforcer dans la région ».
De quelle région s’agit-il, sachant que Publicis est déjà
présent en Jordanie et en Egypte ? De renforcer l’implantation de Publicis
dans les pays du Moyen-Orient où il est déjà présent, de créer une succursale
de Zoom Publicis à Gaza, d’investir au Liban, puis dans la Syrie post Bashar El
Assad, de pousser encore plus à l’est dans les plaines babyloniennes ?
Franchement Monsieur Levy, revendez votre participation dans
Zoom Ramallah, ne vous occupez ni de symbolique, ni de la paix entre la Palestine et Israël, ni du printemps arabe et allez investir dans des pays d’avantage
porteurs d’avenir, comme l’Afrique noire et/ou l’Extrême Orient. Enfin, c’est l’avis
d’un autre Levy, ex publicitaire.