A six reprises la Torah
nous répète qu’Israël est un "Am Ségoula" עם סגולה. Si l’on passe en revue
dans la littérature rabbinique, Talmud, Midrash, Zohar, et tous les
commentateurs qui comptent, "Ségoula" serait
un objet précieux, de grande valeur, un trésor particulier, et "Am
Ségoula" le peuple choisi, élu, sélectionné par l’Eternel parmi tous les
peuples. Les juifs qui sont si friands de superlatifs et ne doutent pas un instant qu’ils soient le
peuple élu, le peuple choisi parmi tous les autres peuples, ne font pas de
différence entre les différents qualificatifs figurant dans la Torah, qui les
placent au-dessus des autres nations. Alors,
va pour Ségoula !
Ce que je n’ai pas trouvée dans les Commentaires c’est pourquoi la
Torah utilise précisément ce mot "Segoula" et pas un autre et, quelle pourrait
être sa signification si on se rapporte à sa racine סגל
et aux mots qui dérivent de cette racine. Peut-être qu’une analyse sémantique aidera
à mieux saisir la spécificité du peuple juif et la singularité de la terre
d’Israël à partir des mots et concepts qui dérivent du mot "Ségoula".
Le mot, en hébreu
moderne, signifie, entre autres, posséder une ou des
qualités rares ou dispositions exceptionnelles que l’on ne partage qu'avec peu de
gens ou que l’on est seul à posséder. Dans ce cas on est qualifié de "Yéhidéi Ségoula", disons
happy few. Le sens a été élargi au genre humain en ce qui le différencie des
animaux; ainsi, le rire est le propre de l’homme. A l’armée, si vous faites
partie d’un groupe restreint de commandants qui prennent les décisions
stratégiques, à charge pour les autres de les exécuter, vous faites partie du "Ségél", disons: Etat-Major.
"Segoula" s’applique aussi à un antidote, un moyen efficace de contrer/annihiler des
choses ou des tendances néfastes. Ainsi on dit que "le travail est le
meilleur remède contre l’ennui",
mais aussi un talisman, une amulette possèdent le pouvoir de lutter
contre le mauvais œil, écartent l’effet
maléfique de certains rêves, et pourquoi pas, protègent contre des esprits
malfaisants qui rodent, surtout la nuit. En hébreu on emploie aussi le mot קָמִיעַ. Ces amulettes
ou bouts de papiers recouverts de signes ésotériques, incompréhensibles pour le
commun des mortels, ne sont pas seulement proposés par des Marabouts à Barbès
Rochechouart. Ils fleurissent aussi dans les religions dites sérieuses. Ainsi,
pour certains Chrétiens, porter sur soi un bout de bois qui est censé provenir
de la Croix, est parait-il efficace contre je ne sais trop quoi. Dans le
Judaïsme, la croyance dans l’effet bénéfique de petits bouts de papiers écrits
par certains sages cabalistes, contre ceci ou cela, et que l’on porte sur soi, est
pratique courante. Peut-être que ça marche ?
Partant de la même racine on
utilise fréquemment en hébreu moderne l’adjectif "Méssougal" qui signifie
capable, compétent, voire talentueux. Es-tu oui ou non "méssougal" de
faire telle chose, d’accomplir telle performance ?
Quel lien peut-on établir à
ce stade entre la préférence de la part de l’Eternel pour le peuple d’Israël
et un antidote contre l’ennui ou le mauvais œil ? A priori cela
n’est pas évident sauf si l’on considère que le peuple élu, possédant quelque
chose de rare que les autres peuples n’ont pas, est astreint à une mission particulière à l’égard des autres
nations, visant à les soulager de certains maux ou à leur enseigner certaines
choses qu’ils ignoreraient.
Ce qui m’intéresse
d’avantage c’est le verbe הִסְתַּגֵּל "Histagél" qui dérive aussi de la racine
Ségél. "Histagél" signifie s’adapter, s’acclimater, se conformer à une nouvelle situation,
à de nouvelles données auxquelles on n’a pas été préparé. Peut-être est-ce là qu’il faut chercher le
génie juif. Il n’y a pas un peuple qui ait autant connu autant de situations imprévisibles
- généralement négatives – et qui n’ait pas rebondi pour s’adapter à la nouvelle donne. Les autres peuples, en règle générale, ont suivi un processus
d’évolution progressif. Leur évolution s’est faite par douceur, sans à-coups,
et quand elles ont eu à réagir à des révolutions ou à une situation nouvelle, elles ont mis des années, voire des siècles à s’y adapter, ou plus généralement,
elles sont revenues au modèle ante .
Il n’en est pas
de même pour les juifs. Quand les murs du ghetto sont tombés, ils ont entrés
immédiatement et de plein pied dans le modernisme. Quand il a fallu commencer à
construire l’état juif sur une terre qui ressemblait fort peu aux plaines de
Pologne, ils ont su s’adapter à un environnement hostile à tous points de vue.
Quand les oranges de Jaffa ont cessé d’être rentables, ils sont entrés dans l’ère
de la nanotechnologie. Quand les pays du monde refusaient de vendre des armes à
l’Etat juif naissant, Shimon Peres a su passer par la fenêtre quand on lui
fermait la porte au nez.
Je me pose donc
la question légitime : n’est-ce pas la "Histaglou"t, la capacité caméléonienne du peuple juif qui lui a valu d’être préféré par Hashém aux autres nations ?
Enfin, il est
curieux de remarquer que la racine "Ségél" donne naissance à une couleur : "Ségol " que Rashi nous traduit par "violet ". Le peuple juif serait-il
une jolie violette ? J’en doute. L’explication serait plutôt à
chercher dans la disposition des couleurs dans l’arc-en-ciel. Il est connu que le rouge est situé à
l'extérieur de l’arc et le violet à
l'intérieur. La particularité du violet est qu’il peut être à la fois visible
et invisible. C’est une couleur fuyante qui peut se confondre avec le fond, qui
est généralement gris ou carrément noir.
Cela me fait penser - considération toute personnelle – aux habits juifs qui
varient entre les couleurs les plus flashy et le noir absolu qu’affectionnent
les ultra-orthodoxes. L’explication la plus vraisemblable résiderait, me semble-t-il, dans la faculté d’acclimatation "Histaglout" du peuple juif dans son univers
ambiant ou, à l’inverse à son refus d’adaptation à la modernité. On pourrait
également dire que le violet tend à rejoindre les espaces infinis. Certains
diraient le "Ein Sof"
Cette courte
recherche n’a pas la prétention de résoudre quoi que ce soit mais à nous
fournir des pistes de recherche sur la
spécificité juive et, surtout, de mettre le doigt sur la richesse de la langue
hébraïque, qui est avant tout une langue de concepts, plus que de mots.